Thaïva Ouaki : Depuis quand collectionnez-vous les objets ?
Jean-Jacques Renaud : À partir de l’âge de 7 ans. Mon père commençait également, il est connu à Lyon pour ses connaissances, et pour connaître un objet, pour le sentir, il faut s’y prendre assez tôt. Et puis, dans le même temps, avec mon père nous avions commencé une collection de monuments anciens, comme ici. Ici c’était Pierre Scize.
Tatiana Berg : Ce qui est important, c’est cet amour pour l’objet qui se transmet de père en fils et Jean-Jacques, c’est la troisième génération d’architectes, son grand-père était architecte, connu
dans la région, son père aussi.
J-J R : Il était collectionneur…
T B : … de tout. Pas de tout « tout » comme Jean-Jacques, parce que Jean-Jacques a élargi le champ des objets à collectionner, mais son père était très investi dans la vie active lyonnaise pour promouvoir justement les artistes. Il était très proche des artistes, comme la famille plus tard, il a continué d’acheter des œuvres pendant longtemps. Mais l’amour des objets, ça coulait dans leur sang, ça circulait plutôt !
J-J R : Oui parce que tout gamin j’étais tenu par un problème de cœur, mes frères s’occupaient des biens mais moi, pas du tout. Et puis ma mère a pris le goût de l’objet et a commencé à collectionner dans les salles des ventes (…). Elle allait le dimanche en ville et par la suite elle est allée au marché aux puces (…) Elle était discrète et bien intéressée, elle marchait beaucoup. Je ne l’ai pas accompagnée tout de suite, mais un an, un an et demi après, je m’y suis rendu avec elle.
T. O. : Vous chiniez ?
J-J R : Mon père était déjà très amateur, très collectionneur. Le dimanche autrefois, il allait avec un autre de mes frères et moi, nous mangions avec les marchands, les restaurateurs, nous étions très contents d’être amis avec ces personnes, qui faisaient bien la cuisine, qui restauraient si bien les bâtiments.
T B : On « trouvait ». Parfois on ne cherchait pas mais on trouvait des objets exceptionnels, des livres, pour compléter la collection (…), au départ je me posais des questions, comme par exemple « pourquoi acheter encore une tisanière, nous en avons déjà une quantité énorme ?», mais Jean-Jacques me répondait : « non celle-là est un peu différente, celle-là est un petit peu comme ça ». J’avais l’impression qu’il connaissait tous les objets.
Les acquisitions étaient simples. À Lyon il n’y a pas beaucoup d’endroits, il y avait le marché aux puces, les galeries marchandes avant à Stalingrad qui n’existent plus malheureusement car les antiquités maintenant sont moins demandées et la rue Auguste Comte. C’étaient nos sorties habituelles de toutes les semaines. Tous les samedis et dimanches. On sortait aux puces le dimanche et le samedi, c’était dans les magasins des Antiquaires, pour discuter avec eux et pour acheter évidemment.
T. O. : Ces objets, que représentent-ils pour vous ?
T B : On est impressionné par la quantité et la beauté de certaines pièces. Et l’on se pose la question « pourquoi cet objet aujourd’hui on ne l’utilise plus, ça, je ne l’ai jamais vu chez moi ou chez quelqu’un d’autre. Est-ce que cela peut servir aujourd’hui ? De nos jours, la mémoire d’utilité du bel objet est partie avec l’objet. On l’a remplacé par un objet en plastique, par un objet qui est facile à utiliser ou à jeter. Le beau a beaucoup trop cédé la place à l’utile. Avant le côté utilitaire des choses et leur beauté étaient mariés, c’était un mariage inséparable et qui était très important parce que les yeux ne cherchaient pas seulement un objet mais aussi le bonheur de voir quelque chose de beau à côté de soi. Je pense aussi que les guerres ont fait quand même beaucoup de ravages dans nos esprits, et l’utilitaire a gagné du terrain. Maintenant on pense plus aux choses utiles.
T. O. : Pourquoi avoir constitué une collection ?
T B : Une collection c’est important, parce que c’est une vision, c’est un choix. Choix par rapport à certaines préférences, par rapport à certaines idées. Si vous avez le choix dans ce que vous regardez, vous vous sentez plus libre. Un seul objet, on peut le casser ou le perdre (…). Le mot générosité et quantité sont associés. Une personne, dès qu’elle ne peut plus utiliser l’objet, elle voit l’objet. Regardez par exemple ces tisanières, je pense que dès que l’on ne peut plus utiliser l’objet, on voit l’objet. Notre cerveau se questionne, on commence à admirer les proportions. C’est beau comme une sculpture. Un petit vase par exemple peut devenir une sculpture, avec un reflet particulier, une position particulière.
Lorsque vous voyez un groupe d’objets, comme un groupe de gens, vous commencez à vous sentir face à quelque chose d’inhabituel, vous êtes saisi, après vous êtes attiré, vous êtes fasciné… enfin au moins vous êtes attiré. Vous commencez à chercher. L’idée de quantité dans notre inconscient collectif est en rapport avec la générosité, mais pas seulement, c’est aussi en rapport avec l’idée de protection.