De l’usage poétique des choses
Catherine Macchi
Catalogue d’exposition Artefacts, Fondation Renaud, Lyon (04.03 – 04.06.23)
Au cours de sa résidence au Fort de Vaise, siège de la Fondation Renaud, Thaïva Ouaki a entrepris de sonder la collection d’arts et de traditions populaires réunie par Serge et Jean-Jacques Renaud. Entre cabinet de curiosité et musée ethnographique, ce fonds rassemble un ensemble considérable d’objets utilitaires anciens sauvés de l’oubli.
Suivant trois axes – le quotidien et le progrès, le travail aux champs et la guerre –, l’artiste a élu un corpus d’objets qu’elle a photographiés directement dans les réserves, à même au sol, avec pour seul éclairage une lampe de chantier. À travers cet exercice minimal, Thaïva Ouaki rejoue les procédures d’inventaire et de nomenclature qui président à la thésaurisation patrimoniale mais avec un résultat aux antipodes de la documentation photographique muséale. Départis de leur fonction d’usage, ces objets autrefois communs qui ont acquis une valeur historique via la conservation, se voient à présent octroyer une valeur esthétique grâce au cadrage photographique et à l’étrangeté d’une mise en scène qui tient de l’épiphanie. Si leur ombre projetée sur les dalles changeantes des réserves souligne des qualités formelles qui les apparentent à des objets surréalistes, elle se fait aussi métaphore de leur double statut actuel. D’objets en trois dimensions, ustensiles de cuisine et outils agricoles aux fonctions genrées se figent en images destinées à être mises en regard dans les salles d’exposition avec d’autres objets sortis des réserves qui réactivent la notion de ready-made duchampien et viennent former une installation. À travers ces déplacements sémantiques et spatiaux successifs, Thaïva Ouaki questionne ce qui sépare un objet usuel d’une œuvre d’art et, par la même occasion, elle se mue en commissaire d’exposition.
En posant l’hypothèse de la beauté de ces objets poussiéreux et obsolètes à travers ses photographies fascinantes où un hachoir à quatre lames apparaît tel un détail architectural sophistiqué et un petit panier à salade rouillé telle une forme idéale de la géométrie descriptive renaissante, l’artiste décortique les mécanismes secrets afférents à la collection et à la nécessité vertigineuse d’acquérir du collectionneur. Tatiana Berg, ne dit-elle pas à propos d’une tisanière devenue inutilisable : « C’est beau comme une sculpture.»
Pour les photographies de douilles d’obus incisées par les soldats dans les tranchées lors de la première guerre mondiale, Thaïva Ouaki recourt à un éclairage au flash en écho aux explosions sur le champ de bataille. Transformés en vases décoratifs, ces objets très ouvragés portaient l’espoir d’une vie harmonieuse, tout comme la barbarie, car les fleurs y mouraient de par l’oxydation du métal. En glissant à l’intérieur de fantomatiques fleurs blanches en plâtre, l’artiste opère à la fois un geste de deuil et de réparation, révélant les usages poétiques que nous faisons des choses et les affects qui les traversent.
Dans cette plongée au cœur d’un monde d’objets désactivés, Thaïva Ouaki dessine en creux le passage de corps absents d’anonymes qui n’ont pas marqué l’Histoire mais dont les gestes laborieux et les rêves ne devaient pas être très différents des nôtres.
Au cours de sa résidence au Fort de Vaise, siège de la Fondation Renaud, Thaïva Ouaki a entrepris de sonder la collection d’arts et de traditions populaires réunie par Serge et Jean-Jacques Renaud. Entre cabinet de curiosité et musée ethnographique, ce fonds rassemble un ensemble considérable d’objets utilitaires anciens sauvés de l’oubli.
Suivant trois axes – le quotidien et le progrès, le travail aux champs et la guerre –, l’artiste a élu un corpus d’objets qu’elle a photographiés directement dans les réserves, à même au sol, avec pour seul éclairage une lampe de chantier. À travers cet exercice minimal, Thaïva Ouaki rejoue les procédures d’inventaire et de nomenclature qui président à la thésaurisation patrimoniale mais avec un résultat aux antipodes de la documentation photographique muséale. Départis de leur fonction d’usage, ces objets autrefois communs qui ont acquis une valeur historique via la conservation, se voient à présent octroyer une valeur esthétique grâce au cadrage photographique et à l’étrangeté d’une mise en scène qui tient de l’épiphanie. Si leur ombre projetée sur les dalles changeantes des réserves souligne des qualités formelles qui les apparentent à des objets surréalistes, elle se fait aussi métaphore de leur double statut actuel. D’objets en trois dimensions, ustensiles de cuisine et outils agricoles aux fonctions genrées se figent en images destinées à être mises en regard dans les salles d’exposition avec d’autres objets sortis des réserves qui réactivent la notion de ready-made duchampien et viennent former une installation. À travers ces déplacements sémantiques et spatiaux successifs, Thaïva Ouaki questionne ce qui sépare un objet usuel d’une œuvre d’art et, par la même occasion, elle se mue en commissaire d’exposition.
En posant l’hypothèse de la beauté de ces objets poussiéreux et obsolètes à travers ses photographies fascinantes où un hachoir à quatre lames apparaît tel un détail architectural sophistiqué et un petit panier à salade rouillé telle une forme idéale de la géométrie descriptive renaissante, l’artiste décortique les mécanismes secrets afférents à la collection et à la nécessité vertigineuse d’acquérir du collectionneur. Tatiana Berg, ne dit-elle pas à propos d’une tisanière devenue inutilisable : « C’est beau comme une sculpture 1.»
Pour les photographies de douilles d’obus incisées par les soldats dans les tranchées lors de la première guerre mondiale, Thaïva Ouaki recourt à un éclairage au flash en écho aux explosions sur le champ de bataille. Transformés en vases décoratifs, ces objets très ouvragés portaient l’espoir d’une vie harmonieuse, tout comme la barbarie, car les fleurs y mouraient de par l’oxydation du métal. En glissant à l’intérieur de fantomatiques fleurs blanches en plâtre, l’artiste opère à la fois un geste de deuil et de réparation, révélant les usages poétiques que nous faisons des choses et les affects qui les traversent.
Dans cette plongée au cœur d’un monde d’objets désactivés, Thaïva Ouaki dessine en creux le passage de corps absents d’anonymes qui n’ont pas marqué l’Histoire mais dont les gestes laborieux et les rêves ne devaient pas être très différents des nôtres.
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1 Entretien mené par Thaïva Ouaki avec Jean-Jacques Renaud et Tatiana Berg. Catalogue d’exposition p.9