Texte de restitution de résidence
Thaïva Ouaki
Résidence de recherche-création, Fondation Renaud, Lyon (04.03 – 04.06.2023)
Ma première entrée dans les collections de la Fondation Renaud est passée par les inventaires qui listent et décrivent les objets. Chacun est également photographié à même le sol afin d’être identifié visuellement. Je me suis appuyée sur ce passage de la tridimensionnalité de l’objet à la bidimensionnalité de l’image, comme une piste qui a structuré une partie de mon travail.
Les objets sélectionnés pour réaliser mes photographies rendent compte d’une certaine représentation de la femme et de l’homme, qui les placent dans le faire, l’action quotidienne, l’élaboration de techniques. J’ai organisé cette représentation en différents thèmes qui ne sont pas exhaustifs et qui s’appuient sur le contenu de la collection. La figure humaine, présente sur certains objets, a également constitué le fil conducteur d’une partie de ma production. En parallèle, j’ai souhaité mener une réflexion sur le statut de ces objets d’artisanat, conçus pour être utilisés, délaissés pour être revendus, acquis par Serge et Jean-Jacques Renaud. Je me suis intéressée à eux comme à des objets qui ne sont aujourd’hui plus « activés » par l’usage pour lequel ils ont été conçus et j’ai souhaité les réactiver en les mettant en scène.
Un grand nombre d’images a été réalisé à l’intérieur des réserves afin de me situer dans un huis clos et un temps arrêté, dédié à la conservation. J’ai souvent photographié les objets isolément en les posant au sol, en référence au dispositif de l’inventaire et avec une lumière d’appoint. Ce dispositif m’a permis de créer des ensembles et de les regrouper par familles. Plutôt que de titrer chacun selon son nom d’usage, j’ai préféré donner un titre général à la série ou encore nommer chaque image par son numéro d’inventaire car ce dernier marque la bascule entre objet usuel et objet patrimonial. J’ai également été attentive aux signes d’usure, aux déformations et aux indices liés à l’utilisation passée de ces objets.
J’ai travaillé sur deux sites, d’une part, dans les réserves du Fort de Vaise et, d’autre part, dans celles du Château de la Poype de Serrières. Situé dans la commune de Trept (Isère), ce château acquis par Serge et Jean-Jacques Renaud était un lieu de réception, où s’entretenaient les relations amicales et le plaisir de partager. Il fut aussi un lieu de rendez-vous pour des collectionneurs qui s’y retrouvaient pour analyser et étudier la fonction de certains objets récemment acquis. Les photographies réalisées durant ma résidence entrent en résonance avec une sélection d’outils et d’ustensiles de la collection qui feront partie de l’exposition. Les thématiques se sont dessinées progressivement, j’ai été sensible à certaines récurrences et le jeu a aussi consisté à laisser parler mes propres affinités avec des symboliques présentes. Ma rencontre avec Jean-Jacques Renaud et Tatiana Berg au Bastion de Pierre Scize, l’un des bâtiments où sont également réunis de nombreux objets, m’a permis de mieux comprendre comment cette collection a été constituée dans le temps. Elle a donné lieu à un entretien.
Dans cette sélection, c’est l’objet multiple qui m’a particulièrement intéressée. Serge et Jean-Jacques Renaud ont régulièrement réalisé des acquisitions par lots et il est fréquent de trouver dans les collections des variantes du même type d’objet. Pour autant, à travers la déclinaison de ce qui semblerait identique, chacun comporte sa singularité, sa forme ajustée ou déformée par l’usage. Cette singularité rejoint d’une autre manière la tentative de représentation de l’humain dans sa diversité.
Parmi les thèmes de la sélection figure celui de la guerre, représenté par un ensemble d’objets qualifié d’artisanat de tranchée. Des douilles d’obus décorées par les soldats durant la Première Guerre mondiale en font notamment partie. Ces décorations réalisées lors de moments de trêve constituent une première mise à l’écart de la fonction d’origine de l’objet et une tentative de réenchantement dans un contexte de terreur et d’attente. Le quotidien et le travail au champ sont également des thèmes que j’ai souhaité représenter à travers les images produites et les objets retenus. Ces derniers montrent l’ingéniosité de leurs concepteurs, à chaque objet une forme et une matière en vue de s’acquitter de tâches précises. Ces choix mettent aussi en avant les petites choses, les ustensiles qui nous environnent et avec lesquels nous cohabitons. Les thèmes de la technique et de la science constituent un autre volet. Plusieurs objets sont liés à l’écriture ou à la diffusion de l’écrit. Les photographies qui les accompagnent sont des compositions réalisées à partir d’éléments trouvés dans une boite contenant planches de lettres à décalquer, papier de conditionnement, motifs graphiques.
Dans la perspective de la restitution de la résidence, le positionnement de certains outils a été pensé en amont dans le lieu d’exposition. Pour ces derniers, les prises de vue ont été réalisées in situ en imaginant l’installation globale constituée de l’objet et des clichés. Après avoir aplani l’objet par la photographie dans un premier temps, la mise en scène des photographies dans la galerie se voulait être un second moment qui reprend en compte l’idée d’espace. J’ai saisi l’occasion des manques d’information concernant certains objets en attente d’inventaire. Pour d’autres, la fonction n’a pas encore été précisée et attend l’expertise de spécialistes. Ces lacunes ont constitué des opportunités, de même que les objets incomplets que j’ai pu trouver car ils rendent ces outils de fait non fonctionnels. Ils ont ainsi ouvert la possibilité de les compléter ou de concevoir un objet autre, dont la réalisation n’est pas guidée en vue d’un usage mais uniquement par l’imagination. Ces interventions sont minimales et ont pour visée d’opérer un décalage.