La quarantaine maritime de Rotterdam se situe sur la rive sud de la Nouvelle Meuse, à l’ouest du quartier de Heijplaat.
Construite entre 1930 et 1933 pour isoler et soigner les marins contagieux, elle n’a jamais été utilisée comme telle. La découverte de la pénicilline pour guérir les maladies tropicales a rendu le projet obsolète avant même la fin de sa construction.
Les bâtiments de la quarantaine sont intacts à l’exception de l’un d’entre eux qui a été rasé ; ils portent aujourd’hui encore les noms des usages pour lesquels ils avaient été conçus : caserne d’isolement, de nettoyage, infirmerie, morgue…
Leur emplacement avait été pensé comme un parcours, organisé depuis l’accueil jusqu’à la prise en charge, l’isolement et le soin.
Face à la loge du gardien se trouve la morgue, comme pour boucler un cycle.
Au fil du temps, le complexe a été utilisé pour accueillir ou isoler d’autres groupes pendant des périodes plus ou moins longues : communautés juives en partance pour l’Amérique avant la seconde guerre mondiale, puis troupes allemandes pendant la guerre, malades du typhus, patients atteints de démence…
Des étudiants de l’école des beaux-arts et du conservatoire en recherche d’ateliers ont commencé à investir la quarantaine au milieu des années 1970.
La plupart de ces artistes y vit encore aujourd’hui.
La quarantaine, que j’ai découverte pour la première fois sur google earth comme un carré vert au milieu de l’immense zone portuaire, fait l’effet d’un paradis, au sens où l’on imagine une zone cachée et vertueuse, naturelle et magique. Requalifiée dans sa vocation, dans son bâti (des murs ont été cassés, des espaces reconstruits), son histoire laisse transparaître des temps de vacance, d’investissements et de désinvestissements.
La quarantaine a constitué un lieu d’appel pour moi aussi. Au carrefour des problématiques qui me constituent : le lieu de transition, le départ en mer, la norme, l’autre, l’idée de transformation, j’ai été fascinée de voir comment se sont opérés ces glissements, et comment un espace qui n’a jamais été utilisé pour sa fonction première, a été réinvesti dans de nouveaux enjeux, de nouvelles symboliques.
Depuis 2017, la quarantaine de Heijplaat est au cœur d’un projet de réhabilitation et les résidents devront quitter leur logement en 2024.
Mon travail de recherche se situe sur une temporalité longue, puisque je souhaite suivre le changement progressif, jusqu’au départ du dernier ou de la dernière. Dans ce travail, certaines zones restent opaques, soit je ne parviens pas à trouver l’information, soit elle n’existe pas, soit elle m’est inaccessible. Dans ces cas, j’ai alors choisi de combler les lacunes avec une réalité plausible, pour pouvoir continuer à tisser la toile.